Modus Ædificandi : vers un changement de paradigme dans la manière de concevoir et de construire l’immobilier ?
Organisé par le Technopôle Domolandes, le Grand prix de l’innovation construction durable et cadre de vie récompense chaque année des projets de création et de développement d’entreprises innovantes en matière d’éco-construction, d’habitat, de cadre de vie et d’aménagement.
Alors que l’appel à projets de l’édition 2022 est lancé jusqu’au 31 mars, nous vous invitons à découvrir ou redécouvrir les 10 finalistes sélectionnés par le Jury de Sélection lors de la dernière édition.
Cette semaine, nous sommes partis à la rencontre de Billy Guidoni, président et fondateur de la startup lauréate Modus Ædificandi – créée en avril 2017 et implantée à Marseille dans les Bouches-du-Rhône.
Vous pouvez retrouver cet article sur le site Construction 21 : https://www.construction21.org/france/articles/h/modus-aedificandi-vers-un-changement-de-paradigme-dans-la-maniere-de-concevoir-et-de-construire-l-immobilier.html
Pouvez-vous présenter les grandes lignes de votre projet d’innovation ? A qui s’adresse-t-il ?
Et si, comme pour des baskets ou des voitures, chacun d’entre nous pouvait personnaliser son logement, ses bureaux et les parties communes de son immeuble dès la phase de conception ? Considérant que l’offre immobilière actuelle, neuve comme ancienne, est trop standardisée, non personnalisée et conçue sans possibilité d’évolutivité, nous avons souhaité apporter une solution, jusque-là inexplorée, aux frustrations produites par les conditions contemporaines du marché immobilier.
Pour ce faire, nous avons développé Modus Ædificandi – « manière de construire » en latin – une méthode opérationnelle, un site internet et un outil paramétrique/algorithmique permettant la production d’immobilier collectif urbain mutualisé et personnalisé, dont nous sommes maîtres d’ouvrage. Ainsi nous sommes en capacité de gérer la globalité du montage immobilier, de la conception à la personnalisation, et de la commercialisation à la vie de l’immeuble.
Les marchés que nous ciblons avec notre innovation se regroupent en deux catégories. Il y a d’un côté les usagers, c’est-à-dire des personnes aussi bien physiques que morales, qui souhaitent habiter ou travailler dans un immobilier répondant à leurs besoins, en ville. Ces programmes peuvent regrouper des logements libres ou sociaux, des commerces et du tertiaire.
De l’autre, nous avons les métropoles. Ces-dernières intègrent de plus en plus les objectifs de la ville sur la ville et de zéro artificialisation nette dans leurs politiques d’urbanisme et d’aménagement. C’est pourquoi nous avons fait le choix de travailler en amont sur l’évolutivité et la durabilité de nos édifices et donc de la ville.
Sur quelle technologie repose MODUS ÆDIFICANDI, notamment pour gérer en temps réel des milliards de paramètres intégrant la globalité du montage immobilier ?
Modus Ædificandi est un procédé de montage global adossé à une application et à un maître d’ouvrage – nous. En partant des contraintes imposées par la ville, notamment en termes de gabarits constructibles ou déjà construits, nous définissons les plus petites composantes – appelées « unités », qui peuvent être similaires ou toutes différentes – auxquelles sont attachées des paramètres de programme (surfaces, coûts, orientation, etc.), techniques (structures, accessibilité, etc.) et de fusions de chaque « unité » avec les autres.
Sur cette base, l’équipe de maitrise d’œuvre va concevoir et proposer des volumes (traversants, duplex, triplex, asymétriques, etc.) à la demande, différents pour chaque projet. Les futurs acquéreurs et usagers pourront ensuite choisir ou configurer eux-mêmes leur programme, le coût souhaité, la superficie, le nombre de pièces, les préférences d’étages et d’orientation, etc. tout en personnalisant l’aménagement de leurs volumes. En se basant sur l’ensemble des demandes individuelles et collectives en temps réel, nous proposons donc des volumes uniques dans de l’immobilier collectif urbain, que l’on retrouverait habituellement par exemple dans une maison d’architecte, dans l’individuel ou le périurbain.
De plus, sur chaque opération, les futurs acquéreurs pourront également configurer les espaces communs intérieurs comme extérieurs, et donc leurs usages, tels que la toiture-terrasse, un atelier, une salle de sport, une crèche, ou encore la production d’énergie, etc. dans une enveloppe de coûts définie en amont. Pour chacun de ces espaces partagés et mutualisés, nous proposerons des options selon des prix, charges d’exploitation, l’impact carbone, etc. aux futurs acquéreurs, qui pourront voter par ordre de préférence. En moyenne, notre procédé paramétrique va donc gérer environ 1 milliard de paramètres pour 1 000 mètres carrés.
Le procédé paramétrique de Modus Ædificandi permet ainsi de réaliser en temps réel un actif correspondant aux besoins spécifiques de la demande, tout en prévoyant en amont l’évolutivité de l’aménagement du bien immobilier sur les plans technique, juridique et opérationnel.
En quoi votre solution répond-elle aux enjeux de la transition énergétique et de la construction durable ?
Sur le plan environnemental, l’évolutivité et la réversibilité des bâtiments que nous proposons constituent les atouts majeurs de notre innovation. Le recours à des procédés constructifs de préfabrication en ossature dès que possible permet en outre de réduire les temps de chantier en site urbain, donc les émissions de gaz à effet de serre et les nuisances sonores.
De surcroit, nous privilégions dans notre traitement architectural et notre mode opératoire une conception bioclimatique (logement traversant, ratio luminosité et protection du soleil, etc.) et le choix de matériaux bio et géo-sourcés (recyclage d’agrégat, béton bas carbone, cloisons en terre projetée, ossature bois, etc.).
Par exemple, notre première opération immobilière, intitulée « L’idéal », que nous développons à Marseille, est certifiée Bâtiment Durable Méditerranée niveau bronze en phase conception – démarche garantissant un certain niveau de qualité énergétique et environnementale.
Pouvez-vous nous en dire plus sur votre première opération immobilière avec Modus Ædificandi ?
Notre première opération immobilière est située dans le 5e arrondissement de Marseille, un quartier mixte très bien desservi par le tramway et le métro. Réalisé en co-promotion avec Sogeprom, conçue par les agences d’architectures EGR et CALMA et des très bons bureaux d’études, ce nouvel immeuble contemporain de 1 500 m² est essentiellement une ossature. Avec pour seuls invariants le noyau et les circulations verticales, l’édifice est composé d’ « unités » qui peuvent toutes se combiner horizontalement et verticalement. En outre, environ 1/3 de la surface développée du bâtiment est affectée aux usages partagés.
Cette opération a débuté début 2021 et devrait être livrée fin 2023. Nous avons obtenu son permis de construire fin 2021, et lancerons sa commercialisation dans les mois qui viennent.
Quels sont vos concurrents et comment vous démarquez-vous d’eux ?
Plusieurs sociétés s’intéressent de manière croissante à la notion d’immobilier ascendant (ou direct to customer), c’est-à-dire, lorsque la demande fait l’offre. On en trouve la source dans l’habitat participatif. Plusieurs sociétés travaillent sur des sujets connexes, comme par exemple HabX, Flex, Bespoke Open Building ou encore Yvivre.
Cependant, Modus Ædificandi se présente aujourd’hui comme la seule entreprise en France à intégrer le montage global, qui va du cahier des charges de conception aux outils de personnalisation et d’arbitrage, jusqu’à la réalisation puis l’évolutivité du bâti, dans un contexte technique et juridique très spécifique. Nous nous positionnons comme maître d’ouvrage, et non juste comme une solution à destination des opérateurs, doté d’un procédé global dans la fabrication de la ville sur la ville. Notre premier objectif est d’amener une très grande qualité architecturale pour favoriser un mode de vie au sein de la ville du quart d’heure.
Quel est le coût pour les utilisateurs ?
Il existe des difficultés structurelles à réaliser des économies d’échelles dans les opérations intra-urbaines. Le parcellaire des centres-villes des métropoles françaises est souvent hérité des 18e et 19e siècles. Ce sont des sites contraints – qui permettent rarement de construire plus de 1 000 – 1 500 m² – les économies d’échelles sont donc exclues. Comme nous favorisons une qualité de matériaux et de mise en œuvre, construire un Modus coûte aujourd’hui environ 10% plus cher qu’un ouvrage traditionnel. Son coût plus élevé s’explique également par la construction en ossature, prévoyant l’évolutivité des modules, plus de réseaux, des planchers amovibles, etc.
Cependant, la majorité des limitations sont structurelles : à terme, nous avons pour ambition de sortir de la promotion immobilière et de rentrer dans la maitrise d’ouvrage directe. Autrement dit, via notre approche de montage, nous pouvons mettre en relation directe des personnes sur des projets, en réalisant nos projets spécifiquement pour la demande, en réalisant directement l’immobilier pour elles. De cette manière, Modus Ædificandi peut baisser de les coûts d’opération 10% à 15% par rapport à une opération de promotion immobilière traditionnelle. Cet autre mode opératoire permet notamment d’éviter la part importante que prend la marge, les honoraires de commercialisation, etc.
Quelles sont vos sources de financement ?
Le socle théorique, de benchmarking et d’opérabilité de Modus Ædificandi sont issus de ma thèse professionnelle ; nous avons souhaité préserver l’indépendance de notre innovation en finançant son développement majoritairement sur fonds propres des associés.
Modus Ædificandi a ensuite bénéficié d’une aide à l’innovation de la BPI pour toute la partie algorithmique – qui a été conçue en interne et dont nous détenons la propriété intellectuelle – et de la dotation du concours Med’Innovant. Enfin, nous allons participer à une levée de fonds dans le but de récolter entre 800 000 et 1,2 million d’euros pour financer notre développement à l’échelle nationale.
Quelles sont vos stratégies de développement ?
Notre objectif est de lancer notre propre marque immobilière sur le territoire français. S’il n’est pas question d’inonder le marché hexagonal avec des milliers d’opérations, le but serait d’avoir des opérations qualitatives à l’échelle de la ville, dans plusieurs territoires.
Composé de 3 associés fondateurs – Billy Guidoni, Olivier Gachet et Delphine Borg –, d’un associé dormant, et de 2 à 3 collaborateurs, Modus Ædificandi recrute actuellement de nouveaux associés pour se développer sur des sujets de stratégie marketing et de déploiement auprès des métropoles.
Que vous a apporté le suivi du Technopôle Domolandes ? Que vous a apporté votre statut de lauréat du concours organisé par Domolandes ?
Après un lancement fortement ralenti par les élections municipales puis la crise sanitaire, le concours Grand Prix de l’Innovation Construction Durable et Cadre de Vie 2021 a permis de remettre un coup de projecteur sur l’innovation de Modus Ædificandi, présentée à des universitaires, élus et professionnels de la construction. Remporter ce prix nous a donc apporté un important crédit au regard de l’ensemble des acteurs de l’immobilier.
A la suite de ce concours, nous avons a été invités par le Ministère délégué au logement à participer aux tables rondes de la démarche « Habiter la France de demain », et nous travaillons actuellement à plusieurs projets sur le territoire français.
Propos recueillis par Alexandre Job – Construction21, La rédaction
Implanté dans les Landes à l’initiative du Conseil Départemental et de la Communauté de Commune Maremne Adour Côte Sud, le Technopôle DOMOLANDES favorise l’innovation et accompagne les entreprises vers le numérique, la construction durable et la solidarité.
Domolandes rassemble un écosystème d’acteurs publics et d’entreprises privées autour d’un centre de ressources et de développement propice à la performance des entreprises. Il stimule la transition numérique auprès des acteurs de la construction et encourage la lutte contre la précarité énergétique pour l’Habitat de demain.
Pôle d’excellence, Domolandes organise chaque année, depuis 2012, le Grand Prix de l’Innovation Construction Durable & Cadre de Vie qui identifie et récompense les projets les plus innovants de la filière Bâtiment sur le plan national. Ce concours a généré aujourd’hui plus de 1 000 manifestations d’intérêt, 500 dossiers étudiés, 76 start-up retenues pour le Grand Jury, composé des Présidents et Directeurs Généraux des grands acteurs du Bâtiment et d’experts de l’innovation et de la création d’entreprises, et 20 lauréats récompensés.
Pour candidater, il vous suffit de vous inscrire sur le site de Domolandes et de compléter le formulaire du Concours.